On me posa récemment la question suivante :
- Comment fais-tu pour ne pas être influencé par les couleurs du modèle par faire ta peinture?
La réponse est assez simple, bien qu’approximative. Je garde en effet toute latitude de quitter les sentiers battus.
Je la transcris dans cet article de blog en tant que résumé du processus créatif technique. J'insiste sur le terme «technique» car il intervient dans la création d'un tableau une foule d'ingrédients évolutifs, depuis un certain état d'esprit général jusqu'aux conditions météorologiques, en passant par l'humeur proprement dite du peintre ! Dans ce tableau je n'utilise que deux couleurs : une couleur d'atmosphère générale (servie soit comme imprimatura, soit pour ébaucher les premières zones d'ombre) et du blanc pour les lumières.
Ensuite je prends une nouvelle couleur qui correspondra à un critère de ressenti : chaud, froid, dynamique, calme, sombre, inspiré, rassurant,etc.
Ensuite je reprends les lumières avec le blanc.
Il m'arrive aussi d'utiliser le blanc comme voile sur tout ou partie de la surface, dans le but de modifier en profondeur la zone recouverte. Les reprises s'effectuent ainsi de suite, jusqu'à ce que j'interrompe le processus créatif.
On se trouve donc en présence d'un processus alternant le chaos et la lumière en tant que vecteurs de créativité. Simple, si ?
Les couleurs appellent, relativement tôt dans le processus, une harmonisation; de plus, elles forment (grâce au clair-obscur entre autre) des structures qui permettent à l'image de profiter d'un axe d'expression supplémentaire.
Attention, cependant. Je ne me contente pas toujours de cette façon de monter mes couleurs. En effet, la tendance à «virer» au brun ou gris-boue est à prendre au sérieux assez vite, en particulier lors de la superposition des glacis. Ainsi, la recherche d'harmonie devient-elle aussi partie prenante de l'expression poétique du peintre.
Il y a encore une difficulté à laquelle je me trouve confronté. A certaines périodes de l'année, La seule façon d'avoir de la lumière sur mes travaux est d'utiliser un éclairage artificiel.
Malgré les progrès réalisés par les fabricants d'ampoules type «lumière du jour», les couleurs sont difficiles à distinguer très précisément, en particulier dans les valeurs extrêmes, tant claires que foncées. Pas de solution miracle : on corrige à la lumière du jour les inexactitudes commises sous les lampes. Avec la pratique, dans les demi-teintes plus particulièrement, on parvient à s'adapter... en attendant l'été.
MAIS
Un peintre tel que Pierre Bonnard utilisait volontairement l'éclairage artificiel, même en tant que sujet de sa peinture. Encore plus fort: il peignait en punaisant ses toiles directement contre le papier-peint collé au mur. Il préférait cela car il pouvait ainsi tenir compte du contexte dans lequel les tableaux seraient vus finalement. Plus les papiers-peints étaient chamarrés, mieux cela se passait, car la cacophonie visuelle devenait si forte qu'elle finissait par ne plus être prise en compte en détail par le cerveau.
Ceci dit, je me souviens que j'aime utiliser les phénomènes liés au chaos. Ces changements de lumière pourraient très bien être intégrés comme «conditions initiales» auxquelles le tableau, ou au moins le peintre, serait extrêmement sensible.
Invitation lisière - borde - edge n° 15 [tempera sur Arches 76 x 56 cm] |
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part je trouve ces voies chaotiques de mieux en mieux acceptables en situation de créativité.
English translation by Christina
Recently I was asked the following question:
- How do you avoid being influenced by the colors of the model while doing your painting?
The answer is quite simple, although approximate. I shall indeed keep the liberty to leave the beaten tracks. I transcribe it in this blog article as a summary of the technical creative process. I emphasize the word "technical" because it is involved in the creation of a painting many ingredients going from the general state of mind up to the weather conditions, passing by the actual mood of the painter ! In this painting I use only two colors: a general atmosphere color (served either as imprimatura or to draft the first gray areas) and a white for the lights.
Then I take a new color that will match a feeling criteria: hot, cold, dynamic, quiet, dark, inspirational, comforting, etc. Then I push up the lights with the white.
Sometimes I use some white as a veil on the entire surface, in order to fundamentally change the covered area. And I carry on like this until I interrupt the creative process.
We are thus in the presence of a process alternating light and chaos as creative vectors. Simple, no?
The colors require, relatively early in the process, an harmonization; moreover, they form (thanks to the chiaroscuro among others) structures that allow the image to benefit from an additional axis of expression.
Be careful, though. I am not always satisfied with that way of mounting my colors. Indeed, the tendency of "turning" toward brown or gray-mud is to be taken seriously rather quickly, especially when layering glazes. Thus, the search for harmony also becomes part of the painter' poetic expression.
There is still another difficulty to which I feel confronted. At certain times of the year, the only way to have light while working is to use artificial lighting.
Despite progress made by the manufacturers of bulbs like "daylight" colors are difficult to distinguish precisely, especially in the extreme values, like clear or dark. There exist no miraculous solution; inaccuracies committed under the lamps shall be corrected at daylight. With practice, particularly in the halftones, I manage to adapt... until the summer comes!
BUT
A painter like Pierre Bonnard intentionally used artificial lighting, even as the subject of his painting. Even better: he painted pinning his paintings directly on the wallpaper against the wall. He liked it because he could thus take into account the context in which the painting will finally be seen.The more the wallpapers was bedecked better it was because the visual cacophony became so strong that it ended up not being considered in detail by the brain.
That said, I remember that I like to use the phenomenon related to chaos. These changes of light could be integrated as well into the "initial conditions" to which the painting, or at least the painter, is extremely sensitive.
I do not know what you think about this, but for my part I find these chaotic ways more and more acceptable in situation of creativity.
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