mardi 7 juin 2016

Vers une nano-histoire de l’art

Que sait-on des motivations des artistes Magdaléniens, de Lascaux, Chauvet et autres sites magnifiquement peints ? Aucun historien honnête n’osera répondre à cette question autrement que par : « À peu près rien...» Je ne suis ni historien d'art ni historien tout court. Je ne peux donc que me fier à mes intuitions d’humain qui, lui aussi, aime laisser des traces de couleur sur des surfaces disponibles.
Puis-je projeter mes motifs sur ceux de mes ancêtres ? Tout ce que je puis affirmer est que les structures de mon cerveau, de ma pensée et, mais c’est moins évident, de ma culture sont très proches des leurs.
réplique d'une peinture de la grotte d'Altamira, Espagne


J’aime peindre parce que je laisse une trace de ma présence, de mon existence ;
J’aime peindre parce que les gestes et les résultats de ces gestes que je dirige à peu près librement me font plaisir ;
  • J’aime peindre parce que ceux de mes semblables qui regardent mes peintures y trouvent parfois un intérêt, et même, pour quelques-uns, un miroir de leur propre horizon de pensée et/ou une source d’émotions qu’ils apprécient ;
  • J’aime peindre parce que le processus créatif et pictural qui me met en mouvement me paraît de la plus haute importance sur le moment et, parfois, en théorie ;
  • J’aime peindre parce que la peinture (celle des autres aussi, parfois) me met en contact avec les notions pour moi vitales et vivifiantes d’Être et de Beauté, tout comme une forme de méditation et de prière pourraient le faire.
ce n'est pas une peinture et
probablement une «oeuvre» involontaire, mais...
Il y a encore beaucoup de raisons, beaucoup plus personnelles qui m’amènent irrépressiblement vers mes couleurs et mes pinceaux. Marcel Duchamp confiait à Georges Charbonnier que la principale raison était olfactive, car les peintres étaient accros à l’odeur de l’essence de térébenthine ! Pour ma part, la peinture me permet de présenter à mon épouse Christina mon hommage amoureux le plus éloquent. Que ceci suffise à mettre un terme au catalogue de mes motivations picturales. Je laisse de coté celle que les artistes seuls sont à même de mieux comprendre, car directement liées à la pratique picturale. Ils les connaissent aussi bien que moi et les regardeurs n’en ont cure, on les comprend.


Mes motivations sont-elles proches des préoccupations picturo-pariétales de outre-naguère ? Je vous laisse y penser. Faisaient-ils de l’art ou de la signalisation ? des jeux de société ou des pratiques cultuelles ?  Imaginaient-ils qu’on en parlerait aujourd’hui dans un blog ? Peut-être étaient-ils ivres et qu'ils oublièrent jusqu’à leurs actes ! Je plaisante…


Ce que je peux affirmer, c’est que les artistes de l'antiquité, allant de l'ancienne Égypte jusqu’aux impériaux romains, réservaient l’art à l’expression religieuse  (de nos jours on parle de mythe, mais c’est de l’orgueil), à la manifestation d’un rang social lié étroitement à la richesse et aussi à la décoration, au service des mêmes d’ailleurs.
Le premier millénaire européen consacre l’essentiel de son énergie artistique à l’expression de la foi, «païenne» ainsi orgueilleusement nommée, puis chrétienne. Le rang social et les richesse (laïques et cléricales) offraient le nerf de la guerre, nommé ainsi par moi, tant il est vrai que la vanité semblait autant que la ferveur motiver les investissements nécessaires à la confection d’oeuvres d’art très richement ornées pour la plupart.
Dès la Renaissance, Nord et Sud de l’Europe confondus, les motivations demeurent, mais elles s’additionnent d’un drageon qui semblait bien improbable jusque là. Les artistes se mettent à signer leurs oeuvres et à briguer un statut social qui ne leur avait jamais été destiné. La reconnaissance de l’artiste met ainsi en route un étrange phénomène : une course à l’originalité, à la virtuosité et au contrat juteux.
L’art entre dès lors dans un conflit interne parfois stimulant, parfois destructeur, entre les tenants de la tradition et ceux de la révolution. J’utilise à dessein le terme de révolution plutôt que celui d’évolution, car c’est bien de combats sanglants dont il s’agit. Les termes employés sont souvent les reflets de sentiments très inamicaux et volontiers assassins, de réputation pour le moins.
Portrait d'un homme, Fayoum
On appelle pourtant cette période la Renaissance. Les contradictions sont aussi l’apanage de l’humanité.
Et cela dura au moins jusqu’aux temps modernes. Soit on a du génie et on est reconnu de son vivant (passez muscade !) soit on a du génie et on est reconnu post-mortem -et les marchands d’art se chargeront de votre fortune-, soit on n’est ni reconnu, ni génial, vivant ou mort, on n’existe tout simplement pas dans l’histoire de l’art. Ci-gît qui ? Il y en a des milliards, artistes ou non. Ça aide la médecine à couler…
Et aujourd’hui, me direz-vous ? Si vous êtes encore là.
Il semble que l’art demeure l’apanage de l’élite et de l’argent. La religion ? Nous y reviendrons.
L’art contemporain correspond parfaitement aux motivations (déjà à l’oeuvre à la Renaissance), à la satisfaction et à la religion (Sainte-Frique) de l’élite fortunée, mais, et c’est là que réside peut-être le distinguo, QUEL QUE SOIT LE CONTENU de l’oeuvre.
Il faut et il suffit qu’un fortuné, amateur ou marchand, décide de la montée d’une cote pour que l’oeuvre trouve sa valeur. QUEL QUE SOIT SON CONTENU, je le répète.
Puisque l’art semble remplir sa fonction historique, on peut se demander s'il y a lieu de chercher à le faire évoluer encore.
Indéniablement, l’art se doit d’évoluer sous peine d’une morbide inertie.
Jusqu’ici, les moteur d’évolution étaient de différents ordres :
  • Évolution technique (pigment, colle support, outils)
  • Évolution des motivations (religion, signe de richesse, etc)
  • Évolution de la valeur spirituelle intrinsèque de l’objet d’art (icône, cathédrale, art funéraire)
  • Évolution de désir décoratif.
Homo sapiens a relativement peu évolué au cours des cinquante derniers millénaires. Seule sa technologie a varié, ces tout derniers siècles, repoussant parfois certains horizons mentaux, également exprimés socialement et scientifiquement.
Duccio - Madonna ruccelai
On constate aussi une évolution spirituelle qui s’exprime parfois radicalement, ce qui n’est pas très nouveau. Ce qui l’est plus, nouveau, c’est l’apparition d’une prétendue liberté individuelle, un libre arbitre (déjà remis en question d’ailleurs).
D’un côté, les divers croyants tendent à s’engager et s’exprimer plus franchement, n'ayant plus le facteur comportemental lié à une obligation de croire émanant d’organes dirigeants.
D’autre part, les athées,ou prétendus tels, mais croyant à la suprématie de l’intellect ou de la réussite sociale ou financière ou de tout à la fois, sont plus franchement des opposants «réactionnaires» vis à vis des positions ecclésiales autrefois dominantes.
La plupart des gens de toute façon peinent à reconnaître qu’il y a eu transfert de divinité. Leurs croyances et valeurs absolues ne sont pas toujours identifiées comme telles (je répète: valeurs matérielles, pouvoir d’achat, cultes voués aux diverses idoles culturelles proposées par les médias de masse). Les pratiques cultuelles se confondent avec un mercantilisme omniprésent et inéluctable, accompagné de messages publicitaires qui n’ont même plus besoin d’user d’artifices subliminaux, tant on s’en est accommodé.
Donc, si :
  1. L'art reconnu comme tel officiellement (les musées s'adonnant eux aussi au mercantilisme pour survivre, leur chiffre d’affaires issu de la vente des diverses reproductions et des entrées payantes, en Angleterre notamment) suffit à l’élite fortunée…
  2. Si l'art des mass-medias suffit à l’homme de la rue pour exprimer ses propres valeurs…
  3. Si les reproductions «fast-food» et haut de gamme remplissent leur mission décorative, facile à renouveler, et permettant ainsi de maintenir un équilibre de satisfaction vs. frustration suffisant au maintien de l’ordre établi…
… on se demande bien pourquoi et comment, le cas échéant, l’art pourrait évoluer !
Et pourtant, quelque chose se passe en Occident. Les artistes non établis semblent beaucoup plus nombreux.
Comment est-ce possible ?
Maurice Quentin de la Tour
Portrait de Louis XV de France
Pastel sur papier gris-bleu
On entend, depuis la fin du XXème siècle des voix autorisées se plaindre que le métier d’artiste, peintre par exemple, n’est plus enseigné dans les écoles d’art officielles. D’un autre côté, on ne compte plus les cours de techniques artistiques proposés aux particuliers.
Ainsi, les artistes de tous âges et de toutes conditions, dits «du dimanche», ou plutôt de «loisirs», motivés par le geste et non par l’acte rémunéré, par exemple, se font de plus en plus nombreux, présentant leurs travaux mondialement par le biais d’Internet. Certes, les regardeurs sont parfois peu nombreux, mais chaque oeuvre permet de toucher une micro-société. Imaginons le nombre des oeuvres ainsi exposées et celui encore plus faramineux de micro-sociétés qu’elles rassemblent !
Dans ces conditions, qui prétendra que l’art ainsi proposé et exposé est un «sous-art» alors qu’une population avérée parvient à s’y projeter et à y trouver son content de ravissement voire d’évolution ?
Or, cet art échappe à tout contrôle officiel, dans la plupart des pays occidentaux en tout cas.
Tant que les artistes qui le produisent esquivent la reconnaissance officielle du marché, cet art est le seul à garder un pouvoir résistant, éventuellement subversif, mais surtout exprimant des valeurs hautes et authentiques propres à ces micro-sociétés.
Les sociétés mondialisantes, de par l’anonymat qu’elles génèrent, permettent et favorisent l’éclosion des rapprochements humains à dimension tribale, capables de manifester artistiquement leurs propres valeurs.
L’histoire de l’art ne peut que devenir l’histoire des arts, des micro-arts, des nano-arts, à l’extrême.
N’est-ce pas réjouissant ?
Enfin, et de fait, car cela a déjà lieu, l’art a évolué et évolue encore. Même marginalisé officiellement, qu’importe ? Il ne le sera plus sous peu, puisque réel et puissant moteur d’une multitude de groupements humains aussi officieux qu’authentiques.

And now, dear english reading friends please enjoy Christina's version (google revisited).


Towards a nano-art history

What is known about the motivations of Magdalenians artists, of Lascaux, Chauvet and all the other beautifully painted sites? No honest historian would dare answer to that question otherwise than: "Just about anything". I am neither historian nor historian of art. So, I can only trust my human intuitions, who too, like to leave traces of color on available surfaces.
Can I compare my drawings with those of my ancestors? All I can say is that the structures of my brain, my thoughts, and, but it is less obvious, my culture, are very similar to their own. I like to paint because I leave a trace of my presence, my existence; I like to paint because the gestures, and the results of these gestures, that I lead nearly freely bring me happyness;
.I like to paint because those of my peers who look at my pictures sometimes find them of interest, and even, for some, a mirror of their own horizon of thought and/or a source of emotions they like;
.I like to paint because the pictorial and creative process that puts me in motion seems of utmost importance at the time, and sometimes in theory;
.I like to paint because the pictures (that of others too, sometimes) put me in touch with the notion, vital and invigorating for me, of Being and Beauty, as a form of meditation and prayer could do.
There are still many reasons, much more personal, which lead me irrepressibly towards my brushes and colors. Marcel Duchamp confided to Georges Charbonnier that the main reason was olfactory because the painters were addicted to the smell of turpentine! Personally, painting allows me to present my most eloquent love tribute to my wife Christina. Let this be enough to end the catalog of my pictorial motives. I leave aside those that artists only are able to understand, because directly related to the pictural practice. They know as well as I do, and the viewers don't care, we understand them.
My motivations are they close to picturo-parietal concerns of primitive times? I'll let you think about it. Were they making art or signaling? Board games or cultural practices? Did they imagine that it would be spoken about in a blog today? Maybe they were drunk and they forgot up to their actions! I'm joking…
What I can say is that the artists of antiquity, from ancient Egypt up to the  imperial Rome, devoted art to the religious expression (nowadays we speak of myth, but it's just pride), to the manifestation of a social rank, closely linked to wealth and also to decoration, elsewhere serving the same.
The first millennium in Europe devotes the essential of its artistic energy to the expression of its faith, "pagan" as proudly named, than Christian. Social status and wealth (secular and clerical) offered the sinews of war, as named by me, since it is true that vanity seemed, as much as fervor, to motivate the necessary investments  for the making of richly decorated art, for the most part.
Since the Renaissance, Northern and Southern Europe combined, motivations remain, but they increased themselves with a sucker that seemed most improbable before. The artists began to sign their works and to seek social status which was never intended for them. The recognition of the artist initiates a strange phenomenon: a race to originality, virtuosity and lucrative contract.
The art then enters an internal conflict, sometimes stimulant, sometimes destructive, between traditionalists and revolutionary. I purposely used the term revolution rather than evolution because it really is a question of bloody battles. The terms used are often reflections of very unfriendly feelings and willingly assassins, of reputation for the less.
Yet this is called the Renaissance period. Contradictions are also the prerogative of humanity.
This lasted at least until modern times. Either one is a genius and is recognized in his lifetime, either one is a genius and is recognized postmortem -and art dealers will take care of his fortune- or one is neither recognized nor great, nor living nor dead, he does simply not belong to the history of art. Here lies who? They are billions, artists or not. It helps the medicine go down...
And today, will you say? If you're still there…
It seems that art remains the prerogative of the elite and money. Religion ? We'll come back to it.
Contemporary art perfectly matches the motivations (already at work in the Renaissance), satisfaction and religion (Holy Money) of the wealthy elite, but, and this is where, perhaps, lies the distinction, WHATEVER THE CONTENT of the work.
It is sufficient that a wealthy amateur or merchant, decides the rise of a quote to give the work its value. WHATEVER ITS CONTENT, again.
Since art seems to fulfill its historic function, one may wonder if it is worth to get it evolve, still.
Undeniably, art must evolve or face a morbid inertia.
So far, the engine of evolution were of different orders:
. Technical evolution (pigment, supporting glue, tools)
. Motives evolution (religion, signs of wealth, etc.)
. Evolution of spiritual intrinsec value of the artistic object
(Icon, cathedral, funeral art)
. Evolution of the decorative taste.
Homo sapiens has not changed much in the last fifty thousand years. Only the technology has changed, in recent centuries,  pushing sometimessome mental horizons, as well socially as scientifically.
One notice also a spiritual evolution which expresses sometimes radically, this is not new. What is new, though, is the appearance of a pretended individual freedom, a free will (already questioned anyhow).
On the one hand, the various believers tend to commit themselves and speak more frankly, no longer having behavioral factor related to an obligation to believe from the governing bodies.
On the other hand, atheists, or so-called, but believing in the supremacy of the intellect or social or financial success (or all at once), are more frankly opponents "reactionary" against the once dominant ecclesial positions.
Most people somehow fail to recognize that there was a transfer of divinity. Their absolute beliefs and values ​​are not always identified as such (I repeat: material values, purchasing power, cults dedicated to various cultural idols offered by the mass media). Cultural practices merge with a pervasive and inescapable commercialism, with advertising messages that don't even need the use of the subliminal tricks, so we went along with.
Thus, if :
Art officially recognized as such (museums also giving into mercantilism in order to survive, getting their turnover from the sale of various reproductions and paid admissions, in England in particular) is sufficient for the wealthy elite...
If the art of the mass media is sufficient for the man of the street to express his own values ...
If "fast food" and upscales reproductions fulfills their decorative mission, easy to renew, and allowing the maintenance of a balance : satisfaction vs. frustration, sufficient to maintain the established order… one wonders why and how, if applicable, art could evolve!
And yet, something is happening in the West. Non-established artists seem more numerous.
How is this possible ?
We hear, from the late twentieth century authoritative voices, complaints that being an artist, a painter, for example, is no longer taught in formal art schools. On the other hand, there are countless courses of artistic techniques offered to individuals.
Thus, artists of all ages and of all conditions, so-called "Sunday" or rather "leisure", motivated by the gesture and not paid by the act, for example, are becoming more numerous, with their work globally presented through the Internet. Of course, the viewers are sometimes few, but each work allows us to reach a micro-society. Imagine the number of works exhibited and thus the even more staggering micro-societies gathered!
Under these conditions, who would claim that art and thus proposed statement is a "sub-art" while an avered population proved able to project itself and find its content of happy rapture or evolution?
But this art escapes any official control, in most Western countries anyway.
As long as the artists who produce their art escape the official recognition of the market, this art is the only one to keep a strong power, possibly subversive, but mostly expressing high and authentic values ​​specific to these micro-society.
The globalizing societies, by the anonymity they generate, enable and promote the emergence of human reconciliation with tribal dimension, able to artistically express their own values.
The history of art can only become art history, micro-arts, nano-arts to the extreme.
Isn't this delightful?


Finally, and as a matter of fact, because it is already the case, art has evolved and is still evolving. Even officially marginalized, who cares? It will be over soon, since it has become the real and powerful engine of a multitude of human groups as much informal than authentic.

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